Journal l'Humanité

Rubrique Tribune libre
Article paru dans l'édition du 29 décembre 2003.
 
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L’invité de la semaine
Jacques Miquel Animateur du Théâtre du fil.
 

 

" Macarel de macarel ! " (juron toulousain désuet de ma terre natale). Halte à la " schizofrénésie " théâtrale ! Je viens de faire la queue pour entrer au théâtre, on y croise les gens qui sortent de la représentation précédente, le spectacle y fut fort bon, mais à peine le rideau tiré voilà qu’on nous demande de sortir pour monter le décor suivant. Ah bon, ici on pratique l’alternance ? Une troupe s’est constituée ? Un répertoire ? Allons vous n’y êtes pas, ici, c’est un " garage ", on y enfile les spectacles comme les bagnoles à réviser ou comme des perles. Stakhanovisme et capitalisme me semblent faire bon ménage aujourd’hui. Au fait, pourquoi toute cette hystérie ? On se croirait au cinéma : tu jettes un coup d’oeil, t’attends même pas que le générique soit fini, tu sors par une porte dérobée et hop, au suivant ! Tu te retrouves à la rue sans autre forme de procès. En un mot comme en cent, il ne me semble pas utile ni urgent que le théâtre rejoigne ici le cinéma, dans son côté " consommez vite fait et revenez vite fait vous gaver à nouveau " ; principe de surconsommation structurée qui, mine de rien, comme MacDonald’s et ses satellites pour la bouffe, nous conduisent à l’obésité garantie, nous entraînant à surconsommer le culturel et les oeuvres d’imagination comme des marchandises, hors de toute implication dans la vie sociale et politique. Eh bien, non, le culturel, voire le loisir culturel, ne sont pas à isoler du reste, ni à être notre petit supplément d’âme de la sphère privée, ils prennent place au coeur de la vie économico-sociale, participant pleinement à la transformation de celle-ci pour peu que l’on choisisse de n’être pas un spectateur ou un acteur passif. Pour revenir à ma sortie théâtre, je me dis qu’on pourrait se croire à Avignon dans le off où je fais en sorte que notre Théâtre du fil défende ses productions dans un lieu bien à lui, qu’il peut partager avec d’autres qu’il aime vraiment, évitant par tous les moyens mercantilisme et succession effrénée des spectacles ; en clair, je voudrais que l’enfer d’Avignon ne se répande pas, que les artistes résistent à des lois d’un marché trompeur. Soignons plutôt l’accueil, faisons vivre de vraies troupes, le trésor est caché là. Ah ! Ariane Mnouchkine et toute la troupe au théâtre du Soleil. que de chaleur autour de la performance théâtrale. Mais au fait, je n’ai pas encore parlé du Théâtre du fil. Promis, demain vous n’y échapperez pas.

 

 
 

 

 
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