L’invité de la semaine
Jacques Miquel Animateur du Théâtre du fil.
" Macarel de macarel ! " (juron toulousain désuet de ma terre
natale). Halte à la " schizofrénésie " théâtrale ! Je viens de
faire la queue pour entrer au théâtre, on y croise les gens
qui sortent de la représentation précédente, le spectacle y
fut fort bon, mais à peine le rideau tiré voilà qu’on nous
demande de sortir pour monter le décor suivant. Ah bon, ici on
pratique l’alternance ? Une troupe s’est constituée ? Un
répertoire ? Allons vous n’y êtes pas, ici, c’est un " garage
", on y enfile les spectacles comme les bagnoles à réviser ou
comme des perles. Stakhanovisme et capitalisme me semblent
faire bon ménage aujourd’hui. Au fait, pourquoi toute cette
hystérie ? On se croirait au cinéma : tu jettes un coup
d’oeil, t’attends même pas que le générique soit fini, tu sors
par une porte dérobée et hop, au suivant ! Tu te retrouves à
la rue sans autre forme de procès. En un mot comme en cent, il
ne me semble pas utile ni urgent que le théâtre rejoigne ici
le cinéma, dans son côté " consommez vite fait et revenez vite
fait vous gaver à nouveau " ; principe de surconsommation
structurée qui, mine de rien, comme MacDonald’s et ses
satellites pour la bouffe, nous conduisent à l’obésité
garantie, nous entraînant à surconsommer le culturel et les
oeuvres d’imagination comme des marchandises, hors de toute
implication dans la vie sociale et politique. Eh bien, non, le
culturel, voire le loisir culturel, ne sont pas à isoler du
reste, ni à être notre petit supplément d’âme de la sphère
privée, ils prennent place au coeur de la vie
économico-sociale, participant pleinement à la transformation
de celle-ci pour peu que l’on choisisse de n’être pas un
spectateur ou un acteur passif. Pour revenir à ma sortie
théâtre, je me dis qu’on pourrait se croire à Avignon dans le
off où je fais en sorte que notre Théâtre du fil défende ses
productions dans un lieu bien à lui, qu’il peut partager avec
d’autres qu’il aime vraiment, évitant par tous les moyens
mercantilisme et succession effrénée des spectacles ; en
clair, je voudrais que l’enfer d’Avignon ne se répande pas,
que les artistes résistent à des lois d’un marché trompeur.
Soignons plutôt l’accueil, faisons vivre de vraies troupes, le
trésor est caché là. Ah ! Ariane Mnouchkine et toute la troupe
au théâtre du Soleil. que de chaleur autour de la performance
théâtrale. Mais au fait, je n’ai pas encore parlé du Théâtre
du fil. Promis, demain vous n’y échapperez pas.
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